Cet entretien a eu lieu le 28 janvier 2009 à Budapest, Hongrie, au domicile de l'interviewé. Il a été mené par Anne-Marie Losonczy et David Karas. L'entretien a été réalisé en hongrois. Il a duré 3 heures et 6 minutes.
BiographieFerenc Kevehazi naît en 1926 à Budapest dans une famille de militaires. En 1944, il entame ses études à la faculté de médecine. Dans la continuité de sa formation, il travaille au sein de l’armée en qualité d’agent sanitaire et, dès l’arrivée de l’armée soviétique, commence à pratiquer dans le corps médical civil. En cette période, il soigne des femmes violées par les soldats de l’armée rouge. Ces informations ne manquent pas d’alimenter sa perception de l’Union soviétique dont il débat avec ses proches. En octobre 1948, Ferenc Kevehazi est arrêté et interrogé par la police politique dont il se souvient particulièrement de la brutalité. Durant l’instruction, il est emprisonné dans une cellule d’isolement au sein des prisons de Badenwergrim et Neuekirchen. Condamné à 25 ans de détention pour « terrorisme », il est envoyé à Vorkouta en 1949. En dépit de multiples tentatives de trouver une place de médecin au sein du camp, il est assigné au travail dans les mines. Sa pratique médicale n’est reconnue qu’un an plus tard, ce qui lui permet alors d’échapper au travail pénible et améliore sensiblement ses conditions de vie. À Vorkouta et dans les prisons par lesquelles il passe, il découvre d’autres cultures, langues et rites religieux. Son récit est jalonné par les évocations de prisonniers de toutes nationalités — Arméniens, Ukrainiens, Russes, Allemands, Baltes… Vorkouta est aussi un temps d’apprentissage de l’action politique. Les mouvements de grève entamés en 1954 à Karaganda s’étendent jusqu’à Vorkouta. En août 1954, son camp est plongé dans un véritable « bain de sang ». Sa libération amorcée en 1954 est lente et ponctuée d’étapes de détention (à Moscou, en Mordovie, à Csop) et de voyages à travers la Russie soviétique, occasion d’une découverte ne serait-ce que visuelle des kolkhozes. Ferenc Kevehazi considère que sa véritable libération ne survient qu’en avril 1956, quand il rentre à Budapest. Après un emprisonnement de 8 ans durant lequel aura pris corps l’apprentissage d’activités politiques, d’autres manières de pratiquer la médecine, de langues et de cultures étrangères, d’apprentissage baigné dans la violence quotidienne, il arrive donc à Budapest 5 mois à peine avant l’insurrection. L’entretien mené avec lui par l’équipe « Mémoires européennes du Goulag » n’est pas sa première possibilité de parler de ce vécu. Pour autant, le silence jeté pendant plusieurs décennies sur son expérience des camps marque son récit actuel aussi bien que son engagement dans les associations d’anciens déportés créées après 1989.