Entretien avec Bogdan Klimchak. Histoire de vie et expériences de déportation en URSS

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Cet entretien a eu lieu le 23 octobre 2009 à Lviv, Ukraine, au domicile de l'interviewé. Il a été mené par Marc Elie. L'entretien a été réalisé en ukrainien et traduit et interprété en français. Il a duré 2 heures et 16 minutes.

BiographieBogdan Klimchak est né en 1937 dans une famille de paysans ukrainiens, a cœur d’une région instable, l’ancien royaume de Galicie. Sa famille s’est disloquée dans la tourmente des affrontements ethniques et de la soviétisation. Son village natal change de mains à trois reprises au cours du second conflit polono-ukrainien : d’abord annexé à l’Ukraine soviétique par le pacte Molotov-Ribbentrop, il est rattaché à la Pologne en 1946, avant d’être réintégré à l’Ukraine en 1951. En 1946, le village entier est déporté plus à l’est dans le village de Grimaïlovo (région de Ternopil), en territoire soviéto-ukrainien. Mais la politique de la collectivisation change tout. Le fils aîné des Klimchak, Miron, milite à l’OUN, l’organisation politique des nationalistes ukrainiens. Il distribue des tracts, participe à des réunions et des conversations secrètes. En 1949, il est arrêté et condamné à une lourde peine de camp. En représailles, la famille — ou plutôt, ce qu’il en reste — est déportée dans le territoire de Khabarovsk. Le père, Stepan, est mort pendant la guerre. Le deuxième frère, Ivan, est parti travailler dans les mines du Donbass. Et le troisième, Stepan, envoyé au travail forcé en Allemagne en 1942, a émigré au Canada. Ainsi, aucun homme en âge de travailler n’est présent à la déportation. La mère, Maria, ses deux filles, Klaudia et Olga, et Bogdan, son benjamin, vivent misérablement dans l’Extrême-Orient soviétique. Bogdan a été deux fois déporté, doublement déraciné. En déportation, haine de la religion chrétienne pratiquée dans la famille et misogynie vont de pair chez Bogdan : suffoquant dans le cocon familial où tous les hommes ont disparu, il voit dans la religion chrétienne le renoncement, la passivité qu’il attribue à l’« élément féminin », qui courbe volontairement l’échine sous le joug polonais puis soviétique. La mort de Staline apporte des changements importants qui bénéficient à Bogdan Klimchak. Au terme de son école secondaire, en 1953, il saisit la chance d’aller étudier à Magadan dans un établissement technique minier. Pourtant, il ne trouve pas plus sa place à Magadan qu’à Dourmine. Subissant des violences à l’école techniques, il se construit en opposition aux Soviétiques lambda. En 1956, croyant que le vent avait tourné, il ne peut s’empêcher de condamner devant ses camarades l’invasion de la Hongrie par les troupes soviétiques à l’été 1956. Bogdan est arrêté et est condamné à cinq ans de détention pour ces « propos antisoviétiques ». Il purge sa peine dans la prison à régime sévère de Tchistopol. Son frère Miron est libéré de camp en 1955. Au même moment, Ivan quitte le Donbass et rejoint la famille en déportation. La fin de l’exil est proche pour les Klimchak. La famille a le droit de partir et maintient une correspondance avec Stepan au Canada. Interné dans un hôpital psychiatrique, ce dernier se suicide en 1957. Transféré en 1957 de la prison au camp de la bourgade de Vetrennyï, à Kolyma, Bogdan y rencontre « des gars de l’UPA ». Paradoxalement, c’est dans les camps poststaliniens, à la Kolyma puis à Taïchet et en Mordovie, qu’il redécouvre sa langue maternelle comme celle de combat et de littérature. Relâché en 1962, il s’installe au village de Grimaïlovo dans la région de Ternopil où sa mère et sa sœur sont retournées après la déportation. Malgré le diplôme de technicien, les chantiers n’emploient l’ancien détenu que comme simple manœuvre. Le KGB le traque. Il écrit des nouvelles à caractère antisoviétique. Cependant, il ne prend pas pied dans le milieu dissident ukrainien des chestidesyatniki ; il ne fait pas partie non plus des groupes illégaux agissant en Ukraine occidentale dans la première moitié des années 1960 ; on ne le retrouve pas non plus dans le groupe Helsinki ukrainien dans les années 1970. Par conséquent, ses écrits ne trouvent pas diffusion dans les réseaux de samizdat de la dissidence ukrainienne. Ne voyant aucune perspective pour lui en URSS, il se résout à franchir la frontière entre le Turkménistan soviétique et l’Iran pour demander l’asile politique à l’ambassade du Royaume-Uni à Téhéran. La police iranienne le reconduit à la frontière et Bogdan prend quinze ans de camp assortis de cinq ans d’exil. En douze années de camp, dont la plupart à Perm-35, il passe 590 jours au cachot, dix mois en détention de type cellulaire et trois ans en cellule à la prison de Tchistopol (Tatarstan) dont sept mois avec alimentation réduite. Il souffre en permanence de la faim. En outre, les camps à régime sévère sous Brejnev et Gorbatchev sont les plus durs que Bogdan ait connus. La torture psychologique, les supplices de la faim et du froid atteignent un paroxysme dans les années 1970-1980. L’une des pages ignobles de la Perestroïka est la grâce accordée aux prisonniers politiques sur leur demande en 1987. Nombreux furent ceux qui se plièrent à cette ultime humiliation — reconnaître leur « faute » afin d’être libérés. Bogdan avec d’autres ne voulait rien demander. Il bénéficia d’une révision pénale en 1989, probablement à la demande d’Ukrainiens qui soutenaient les derniers nationalistes encore en captivité. Il est libéré le 11 novembre 1990. Les espérances de Bogdan dans l’Ukraine indépendante sont rapidement déçues. Bogda, sans domicile, est hébergé à Ternopil puis Lviv par des « patriotes » de sa connaissance. Contrairement à la plupart d’anciens détenus nationalistes, Bogdan ne fait aucun crédit aux déclarations patriotiques des tenants de la « révolution orange » de 2004. Comme sous l’URSS, Bogdan refuse toute négociation avec l’Ukraine nouvelle, qu’il estime « occupée » par l’étranger. Il fait savoir aux autorités qu’il refuse de demander sa réhabilitation tant que les responsables ukrainiens des répressions n’auront pas été jugés. Taraudé par la question du sens de son expérience carcérale, Bogdan trouve un exutoire spirituel à ses frustrations sociales. Il découvre notamment les écrits de lev Silenko, qui avait fondé dans les années 1960 une secte néopaïenne, RUNVira (Foi nationale ukrainienne originelle).

Identifier
DOI https://doi.org/10.57745/2JLUCF
Metadata Access https://entrepot.recherche.data.gouv.fr/oai?verb=GetRecord&metadataPrefix=oai_datacite&identifier=doi:10.57745/2JLUCF
Provenance
Creator Klimchak, Bogdan; Elie, Marc ORCID logo
Publisher Recherche Data Gouv
Contributor Institut national d'études démographiques (INED); Institut national d'études démographiques (INED), service des éditions; Blum, Alain; Craveri, Marta; Kovaltchouk, Boris; Sohler, Karin; Wauthier, Alexandre; Hugonnard, Valérie; Centre d’études russes, caucasiennes, est-européennes et centrasiatiques; Institut national d'études démographiques; Radio France Internationale; Entrepôt-Catalogue Recherche Data Gouv
Publication Year 2025
Funding Reference Agence nationale de la recherche (ANR) ANR-07-CORP-004 ; Institut national d'études démographiques (INED) INED-A1211 ; EHESS - CERCEC ; Fonds national pour la Science ouverte (FNSO) AAP-FNSO-0002-17
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Contact Institut national d'études démographiques (INED); Institut national d'études démographiques (INED), service des éditions
Representation
Resource Type Sound; Dataset
Format audio/ogg
Size 99379836; 99526311; 99483693
Version 1.0
Discipline Social Sciences; Agriculture, Forestry, Horticulture, Aquaculture; Agriculture, Forestry, Horticulture, Aquaculture and Veterinary Medicine; Life Sciences; Social and Behavioural Sciences; Soil Sciences
Spatial Coverage Ukraine; Lviv