La recherche proposée avait comme but d'étudier les changements de valeurs à l'oeuvre dans la société suisse, les nouveaux clivages qui en ont résulté dans la vie sociale et politique, ainsi que leurs fondements socio-structurels. Elle a permis de mieux saisir les conflits et oppositions qui risquaient de marquer de leur empreinte l'entrée de la Suisse dans le prochain millénaire. Ce but n'a pu être atteint qu'en ayant recours à une stratégie de recherche à plusieurs niveaux. Tout d'abord, une telle recherche nécessitait un examen détaillé des valeurs des Suisses. Ainsi, une enquête par questionnaire abordant les grands domaines de la vie (famille, religion, travail, politique, écologie, etc.) s'est trouvée au centre de ce projet. Ensuite, pour mener à bien notre projet, nous nous sommes appuyés sur une démarche comparative, sur le double plan temporel et spatial. Pour avancer des conclusions sur l'évolution de ces valeurs et clivages, une comparaison temporelle s'imposait. Un grand atout de notre projet était le fait qu'une enquête assez similaire avait déjà été réalisée en Suisse en 1988/9 (Melich 1991). Le temps qui s'est écoulé entre les deux enquêtes a notamment été d'un grand intérêt pour étudier l'impact de la crise économique que la Suisse a connu au début des années 90 sur les individus et leurs visions du monde. A la différence de cette précédente enquête, notre projet ne s'est pas limité à une simple description des valeurs et de leur évolution. Il reposait en effet sur une conception théorique qui incluait également les fondements socio-structurels des clivages, ainsi que leur traduction sur le plan politique. De plus, notre projet soulevait une problématique propre à la Suisse. Nous avons testé la pertinence de trois conceptualisations des changements de valeur - et des clivages y relatifs: le postmatérialisme, le nouvel individualisme, la "Suissitude" (ouverture vs fermeture ou modernisation vs tradition). Enfin, ce projet a eu le grand avantage de s'insérer dans le cadre d'un vaste réseau de recherche international, le "World Value Survey", dont la troisième vague d'enquêtes a regroupé plus de 50 pays. L'accès aux données recueillies dans les autres pays a offert des perspectives de comparaison très riches. De telles comparaisons étaient indispensables si l'on souhaitait identifier les éventuelles spécificités helvétiques. Il s'agissait notamment d'examiner si les changements sociaux intervenus dans la société postindustrielle avaient conduit à l'émergence de mêmes clivages en Suisse qu'ailleurs, en particulier le clivage ouverture-fermeture fréquemment cité pour expliquer les récents votes négatifs sur des questions d'ouverture vers l'extérieur (vote sur l'EEE, les casques bleus, Lex Friedrich, etc.) L'enquête par questionnaire qui se trouvait au centre de la recherche a été réalisée au printemps 1996 par un institut de sondage. Le questionnaire a requis le recours à des entretiens dits "face à face" qui devaient normalement durer 60 minutes au maximum. L'échantillon des personnes interrogées a été constitué de sorte que des comparaisons entre les régions linguistiques - ainsi que des analyses au sein de ces régions - soient possibles. Ceci a nécessité une sur-représentation des francophones et des italophones. A ce titre, l'échantillon minimum acceptable devait être de 1200 personnes réparties dans les trois régions linguistiques de la manière suivante: 600 Alémaniques, 400 Romand/es et 200 Italophones. Le questionnaire soumis aux interviewés a suivi de près la proposition du groupe de recherche international. Il a bénéficié des expériences acquises lors des vagues d'enquêtes antérieures, ainsi que des pré-tests réalisés dans quelques pays. Ce questionnaire a abordé les domaines les plus importants en ce qui concerne les valeurs: perception de soi et de sa situation personnelle, conception et rôle du travail, attachement à la religion, vision de la famille, du rôle de la femme et de l'homme, importance des loisirs, priorités pour la société et le pays, sentiment d'appartenance, orientation écologique, sentiment vis-à-vis de "l'autre" (étrangers, immigrés, homosexuels, etc.), attitudes vis-à-vis de la pauvreté, vie associative, intérêt et activisme politique, préférences idéologique et partisane, satisfaction et confiance envers des institutions nationales et internationales, etc. En abordant tous ces différents domaines, le questionnaire du groupe de recherche international a permis un examen détaillé des valeurs. Les questions que nous y avons ajoutées ont permis de prendre en compte des particularités du contexte suisse. Certaines de ces questions ont été reprises de questionnaires d'autres enquêtes réalisées en Suisse, notamment les enquêtes VOX (huit échelles de valeurs relatives à l'armée, aux étrangers, à l'égalité homme-femme, aux traditions, au libéralisme, à l'écologie, au plein emploi, à la citoyenneté). A noter que si les sondages VOX fournissent quelques éléments d'information au sujet des "valeurs des Suisses", ceux-ci sont beaucoup trop limités pour répondre valablement aux questions soulevées dans cette recherche. Enfin, compte tenu de notre intention d'examiner en détail les fondements socio-culturels des valeurs et clivages, nous y avons également ajouté des questions pour mesurer avec davantage de précision la situation socioprofessionnelle des interviewés.
The aim of the study was to investigate the changes in values in Swiss society, the resulting new divides in social and political life, and their socio-structural foundations. It has allowed a better understanding of the conflicts and oppositions that were likely to leave their mark on Switzerland's entry into the next millennium. This goal could only be achieved by using a multi-level research strategy. First, such research required a detailed examination of Swiss values. Thus, a questionnaire survey addressing the major areas of life (family, religion, work, politics, ecology, etc.) was at the centre of this project. Then, to carry out our project, we relied on a comparative approach, both on the temporal and spatial levels. To draw conclusions on the evolution of these values and divisions, a temporal comparison was necessary. A great advantage of our project was the fact that a similar survey had already been carried out in Switzerland in 1988/9 (Melich, 1991). The time that elapsed between the two surveys was of great interest for studying the impact of the economic crisis that Switzerland experienced in the early 1990s on individuals and their visions of the world. Unlike this previous survey, our project was not limited to a simple description of values and their evolution. It was based on a theoretical conception that also included the socio-structural foundations of the divisions, as well as their political translation. In addition, our project raised an issue specific to Switzerland. We tested the relevance of three conceptualizations of value change - and related divisions: postmaterialism, new individualism, "Swissness" (openness vs. closure or modernization vs. tradition). Finally, this project had the great advantage of being part of a vast international research network, the "World Value Survey", whose third wave of surveys brought together more than 50 countries. Access to data collected in other countries offered very rich comparative perspectives. Such comparisons were essential if possible Swiss specificities were to be identified. This included an examination of whether the social changes in post-industrial society had led to the emergence of the same divides in Switzerland as elsewhere, in particular the frequently cited open-close divide to explain the recent negative votes on outward opening issues (vote on the EEA, peacekeepers, Lex Friedrich, etc.). The questionnaire survey that was at the centre of the research was conducted in the spring of 1996 by a polling firm. The questionnaire required the use of so-called face-to-face interviews, which were normally to last a maximum of 60 minutes. The sample of interviewees was selected so that comparisons between linguistic regions - as well as analyses within these regions - were possible. This required an over-representation of French and Italian speakers. The minimum acceptable sample size was 1,200 people in the three language regions: 600 German speakers, 400 French speakers and 200 Italian speakers. The questionnaire submitted to the interviewees closely followed the proposal of the international research group. It has benefited from the experience gained in previous waves of surveys, as well as from pre-tests carried out in a few countries. This questionnaire covered the most important areas in terms of values: perception of self and personal situation, conception and role of work, attachment to religion, vision of the family, role of women and men, importance of leisure, priorities for society and the country, sense of belonging, ecological orientation, feeling towards "the other" (foreigners, immigrants, homosexuals, etc.), attitudes towards poverty, associative life, political interest and activism, ideological and partisan preferences, satisfaction and trust in national and international institutions, etc. By addressing all these different areas, the questionnaire of the international research group allowed a detailed examination of the values. The questions we added allowed us to take into account the particularities of the Swiss context. Some of these questions were taken from questionnaires from other surveys conducted in Switzerland, in particular the VOX surveys (eight scales of values relating to the army, foreigners, gender equality, traditions, liberalism, ecology, full employment, citizenship). It should be noted that while VOX surveys provide some information about "Swiss values", these are far too limited to adequately answer the questions raised in this research. Finally, given our intention to examine in detail the socio-cultural foundations of values and divides, we have also added questions to more accurately measure the socio-professional situation of the interviewees.