Cet entretien a eu lieu le 30 août 2009 à Kaltouk (région d'Irkoutsk), Russie. Il a été mené par Emilia Koustova et Larissa Salakhova, avec la participation de Alain Blum qui s'occupait de l'enregistrement. L'entretien a été réalisé en russe. Il a duré 1 heure et 20 minutes.
BiographieIvan et Aleksandra Belomestnykh ont vécu avec les déplacés spéciaux dans le village de Bolchaïa Kada. Ivan y naît en 1927, Aleksandra en 1928 sur l’autre rive du fleuve Oka. Tous les deux viennent de familles paysannes. Ayant accompli son service militaire entre 1944 et 1946, Ivan a fait des études de conducteur de moissonneuse-batteuse. Aleksandra et lui ont travaillé côte à côte avec les déplacés spéciaux de Lituanie. Ils mentionnent aujourd’hui que ces derniers avaient été accusés d’activités antisoviétiques, d’appartenance politique fasciste. Cependant, ils disent avoir évacué ces aspects à l’époque et n’avoir que constaté l’application au travail des Lituaniens envoyés dans leur village. Aleksandra se rappelle que ces collègues lituaniennes ne parlaient guère des raisons de leur exil, et répondaient aux questions sur la raison de leur présence par « Nous avons été envoyées ici pour travailler ». Fait notable, malgré le partage des mêmes espaces de sociabilité (le club, par exemple), le couple Belomestnyh décrit le groupe de déportés comme menant une vie sociale à part (fêtes durant lesquelles ils ne se croisaient pas ; pratique religieuse étrangère à la jeune génération à laquelle ils appartenaient ; instruments de musique qu’Ivan et Aleksandra peinent à nommer). Le point central de relation entre les divers groupes d’habitants semble avoir été le travail et le savoir-faire pratiques. Le couple Belomestnyh parle avec facilité des recettes et des conseils donnés pour fabriquer certains objets, pratiques que les locaux ont intégrés grâce à ce partage. Leur souvenir trahit également une certaine répartition géographique des déportés, entre les Lituaniens et les Ukrainiens. Cette répartition croise une distinction de structures de production entre le kolkhoze et l’exploitation forestière. La mémoire de la libération des déplacés spéciaux est gommée par le souvenir majeur pour eux, celui de l’inondation du village en 1958 et du déménagement de toutes les familles à Kaltouk. Ainsi fut effacé le lieu où Soviétiques libres et Soviétiques déportés ont vécu ensemble et ont cherché à se tenir à distance des désordres politiques.
BiographyIvan and Aleksandra Belomestnykh lived with the specially displaced in the village of Bolshaya Kada. Ivan was born there in 1927, Aleksandra in 1928, on the other side of the Oka River. Both were from peasant families. Having completed his military service between 1944 and 1946, Ivan studied to become a harvester driver. He and Aleksandra worked side by side with Lithuania's displaced persons. Today, they mention that the latter were accused of anti-Soviet activities and of adhering to fascist politics. However, they say they dismissed these aspects at the time, and only observed the Lithuanians sent to their village at work. Aleksandra recalls that her Lithuanian colleagues said little about the reasons for their exile, answering questions about the reasons for their presence with “We were sent here to work”. Notably, despite sharing the same spaces of sociability (the club, for example), the Belomestnyh couple describe the group of deportees as leading a social life apart (celebrations during which they didn't cross paths; religious practice alien to the younger generation to which they belonged; musical instruments that Ivan and Aleksandra have difficulty naming). The central point of relationship between the various groups of locals seems to have been work and practical know-how. The Belomestnyh couple speak with ease of the recipes and tips they were given for crafting certain objects, practices that the locals adopted thanks to this shared know-how. Their memories also reveal a certain geographical distribution of the deportees, between Lithuanians and Ukrainians. This distribution overlaps with a distinction in production structures between kolkhoz and forestry. Their memory of the liberation of the special deportees is erased by the most important memory for them, namely that of the flooding of the village in 1958 and the relocation of all the families to Kaltouk. This is how the place was erased, where free Soviets and deported Soviets lived together and tried to keep their distance from political unrest.